Agitation Frite. Témoignages de l’underground français. Entretien avec Philippe Robert, octobre 2016.

Entretien réalisé en octobre 2016 par Philippe Robert pour son ouvrage Agitation Frite. Témoignages de l’underground français volume 1 (éditions Lenka Lente) paru également dans le trimestriel Revue & Corrigée n°111, mars 2017.

Philippe Robert : D’où te vient cette aptitude à tout garder, archiver ? De l’enfance et des collections d’images ? Je fais allusion à tes deux indispensables scrap books intitulés Un Certain Rock (?) Français I et II, faits de coupures de presse récoltées ça et là et tournant toutes autour de l’underground musical français, dont tu es d’ailleurs l’un des acteurs.

Dominique Grimaud : C’est probablement plus de l’intuition qu’une aptitude, encore moins une manie. Avant internet, la presse était capitale pour s’informer. Les informations sur les formes d’art, de pensée, de musique qui m’intéressaient passaient essentiellement par la presse, très peu par la radio, et pas du tout par la télévision. C’était encore plus important pour les gens comme moi qui habitaient une petite ville de province. Alors j’achetais à la maison de la presse Rock & Folk, Actuel, Le Parapluie, L’Art Vivant, Libération ( j’en oublie sûrement ), sans compter que j’étais abonné à des fanzines, non distribués par les NMPP [ Nouvelles messageries de presse parisiennes, comme Atem ou plus tard Notes. Un compère Jean-Luc [ Dupéty ], le batteur de Camizole, était abonné à quatre revues étrangères : New Musical Express, Melody Maker, Sounds et Rolling Stone. Il cherchait surtout des informations sur les Mothers of Invention, Captain Beefheart, toute cette famille, et aussi sur Henry Cow, Robert Wyatt, etc. A l’époque, nous étions très admiratifs du magnifique travail que faisait Urban Gweder avec Hot Raz Time, une revue assez extravagante, d’esprit pataphysicien, consacré à Frank Zappa. Au point que nous étions en contact avec lui, et chargés de lui fournir des articles sur Zappa lorsque nous en trouvions, particulièrement dans la presse française, en échange d’abonnements gratuits à sa revue. Je ne me souviens pas très bien, mais je crois que l’idée de faire ces deux livres/collages comme je les nommais, est venue de là.

L’idée était de compiler des articles, des photographies, des morceaux de pochettes de disques, etc., sans rien écrire moi-même : juste réunir en un seul ouvrage ces petits articles, parfois pas plus de trois ou quatre lignes, dispersées parmi des articles de plusieurs pages sur les musiciens plus connus et davantage mis en avant. Comme pour les sortir de l’oubli, de la position en retrait qu’on leur imposait... Jean-Pierre Lentin, qui était un des rares à écrire sur ces groupes-là, a eu la gentillesse de me prêter toutes ses archives, tous les documents que lui envoyaient les groupes. C’est comme ça que j’ai eu accès, par exemple, à de longs articles sur Barricade, qu’Actuel n’avait pas publiés. Le premier volume s’est fait comme ça, complètement en amateur, sans rien connaître de la confection des maquettes destinées à l’imprimerie. J’ai reçue l’aide de l’équipe qui travaillait pour Bazooka Production (il y a d’ailleurs dans chaque volume un dessin de Kiki Picasso). Ce sont des ouvrages de jeunesse, plus proches de l’Art brut que de l’édition classique. Le deuxième volume est plus sage dans sa mise en page, et contient davantage d’extraits de courriers et de documents échangés directement avec les musiciens, car entre-temps j’avais eu la chance de rencontrer pas mal d’entre eux. Après la publication des deux ouvrages, jusqu’au début des années 1990 environ, j’ai continué à archiver, en me disant que cela me servirait peut-être un jour : c’est pour cela que je parle d’intuition. L’idée d’écrire un véritable bouquin me trottait un peu dans la tête, c’est vrai, mais j’avais d’autres chats à fouetter en tant que musicien. Puis, trois décennies après mes deux petits ouvrages, Eric Deshayes, à qui j’avais fourni quelques documents pour alimenter son site Néosphères et qui avait une proposition des éditions Le Mot et le Reste, m’a proposé de le faire en duo avec lui. Il avait déjà publié un ouvrage sur le rock allemand, mais il connaissait un peu moins les maquis sonores français. Toutefois, je tiens à préciser que je suis avant tout musicien : j’ai fait ce travail parce que j’estimais que ça manquait, plus comme un militant que comme un chroniqueur ou un spécialiste.

PR : Le second volume d’Un Certain rock (?) français se termine plus ou moins avec Metal Urbain et le punk rock. Un troisième serait-il envisageable ?

DG : Ce troisième volume a presque existé. En 1986, j’ai écrit, pour la revue allemande Bad Alchemy, un article qui fait le point sur la situation huit ans après la parution de ces deux petits ouvrages. La couverture du numéro en question reprend le titre Un Certain rock (?) français dans sa calligraphie d’origine, avec une photographie d’Etron Fou Leloublan en concert. Les articles et la cassette jointe au magazine présentent entre autres Un Drame Musical Instantané, Albert Marcoeur, Four French Form, Virgule 4, Look de Book, Vidéo-Aventures. C’est amusant de constater que c’est dans une revue allemande que cet additif a vu le jour. En Angleterre, Chris Cutler de Rock in Opposition s’était également fort intéressé aux deux premiers volumes et en avait vendu pas mal à travers son catalogue Recommended Records.

PR : Comment vois-tu ton travail passé au sein de Revue & Corrigée ? Peut-on y discerner, du point de vue de l’écriture, les prémices de L’Underground musical en France, le livre écrit avec Eric Deshayes que tu évoques - un peu comme les articles de Pascal Comelade pour ce même support ont fini par constituer une partie non négligeable de ses Ecrits monophoniques submergés ?

DG : J’ai rencontré Albert Durand, Olivier Masson et Jérôme Noetinger peu de temps avant la sortie du premier numéro de Revue & Corrigée en 1989. Ils m’ont alors sollicité pour écrire dans la revue, mais je me suis fait un peu désirer, et n’ai commencé une chronique régulière qu’à partir du dixième numéro, en 1991. Effectivement, il y a eu trois ou quatre chroniques sur le thème de l’underground français post-68 : je me souviens d’une que j’avais titrée « Hors-la-loi et Imposteurs », d’une autre sur le magnifique trio Dora Lou, une aussi sur les noms choisis par les groupes français ( j’adore cette poésie qui dit beaucoup de l’esprit de la formation ). Toutefois, j’ai abordé aussi d’autres styles musicaux qui n’étaient pas traités dans la revue, comme le blues rural des années 1930, et je me suis aperçu que ce n’était pas mal reçu, finalement. Quelques lecteurs, je crois, étaient comme moi passionnés par ces musiques nord-américaines qui avaient largement précédé celles que l’on avait découvertes lors de notre adolescence, dans les années 1960. J’essayais aussi d’aborder un peu cette pop-là, les guitaristes comme John Fahey ou Sandy Bull, ainsi que le rock allemand de la décennie suivante. Faire un peu d’histoire quoi ! C’est important je crois, car la méconnaissance est grande parfois. C’est surtout le cas avec l’underground français, celui qui a précédé le punk rock et le noise : il est presque totalement oublié. Même les spécialistes des musiques non formatées l’ignorent, bien souvent. Je me souviens, par exemple, d’un chroniqueur très érudit qui ne faisait aucune différence entre la musique de Red Noise et celle de Tac Poum System : bigre ! Cependant, attention : il n’y a aucune nostalgie chez moi. Ce sentiment m’insupporte au plus haut point. Non, ce n’était pas mieux avant, absolument pas. Il y a juste que la patine du temps rend les choses différentes. Et le recul et l’étude permettent une analyse plus aisée. C’est important de connaître son passé, c’est mieux de savoir d’où l’on vient.

PR : D’où vient ta musique à toi, justement ? Qu’est-ce qui est à l’origine de ta vocation de musicien ?

DG : Jusqu’à l’âge de 18 ans, j’étais juste un fan de pop, mais j’aimais déjà des trucs bizarres, comme le larsen de Lennon sur «I Feel Fine», ou le solo de Pete Townshend sur « My Generation », où il frotte ses cordes de guitare sur son pied de micro, et autres excentricités de ce style. En 1969, j’ai assisté à un festival organisé dans les sous-sols des anciennes Halles de Paris, qui venaient de déménager à Rungis. Ce soir-là, j’ai découvert ce qu’était le free jazz avec Arthur Jones et Earl Freeman, le noise libertaire de Red Noise, Guilain qui jouait de la guitare à la façon lapsteel, Ame Son dont le flutiste utilisait une pédale wha-wha, sans parler de Twink, le batteur de The Pretty Thing, complètement barjo. Tout cela était nouveau pour moi et m’enthousiasmait au plus haut point... Au même moment, j’ai rencontré Jacky Dupéty, du même âge que moi, mais lui avait été étudiant à Paris, à l’école d’Arts appliqués, jusqu’à la date fatidique de mai 1968 où il avait été viré. Il avait fréquenté le Centre culturel américain du boulevard Raspail, toute son agitation et l’IACP [ Institut Art Culture Perception ] d’Alan Silva. C’était bien loin de la vie, quelque peu confinée, de ma petite ville de Chartres; nous étions une bande de hippies qui s’ennuyaient ferme au pied de la cathédrale. Jacky nous a entrainés dans une première performance très inspirée par le Living Theatre, qu’il avait vu probablement à l’American center. Nous n’avions aucun instrument ou objet : ce fut juste un long silence pour commencer, puis des souffles, des cris, des râles s’extirpant de nos corps. Nous étions tout de même une vingtaine, d’abord assis sagement par terre, puis tout s’est terminé dans une mêlée violente et totalement anarchique. Rien n’avait été répété, ni même prévu, sauf par Jacky qui nous dirigeait. Le plus drôle est que cela se passait dans une petite chapelle, devant un public de jeunes catholiques, qui accepta tout à fait cette proposition. Ce soir -là, Jacky, très exalté, nous a dit : « il faut absolument que l’on crée un groupe de free jazz ». Aussitôt dit, aussitôt fait : quinze jours plus tard, la troupe était de nouveau dans cette chapelle, devant le même public, toujours dirigé par Jacky, mais cette fois-ci, munie qui d’un tambour, qui d’un saxophone, qui d’élastiques tendus sur une boite, que sais-je encore ? Tout ce que l’on avait réussi à récupérer : des tablas indiens, un triangle, une grosse caisse, etc. Jacky Dupéty a été le déclencheur, celui qui m’a ouvert aux pratiques hors savoirs académiques. C’est seulement plus tard que j’ai pu me rendre compte d’autres influences, plus inconscientes, comme celle de ma grand-mère qui aimait bien pousser la chansonnette à le fin des repas de famille. Et surtout celle de Raymond Isidore, plus connu sous le nom de Picassiette : les visites de sa maison, lorsque j’étais enfant, m’émerveillaient. Je me sens proche de l’Art brut...

PR : De quelle époque datent tes premiers enregistrements ? Pour moi Camizole, et c’est d’ailleurs dommage, est un groupe culte que l’on n’a découvert qu’a posteriori : d’abord grâce à un disque sorti à la fin des années 90, mais originellement prévu pour le label Tapioca en 1977 ; puis grâce à une cassette, superbe, parue plus tard encore, bien qu’elle contienne que des morceaux de 1975.

DG : Au début des années 1970, enregistrer était toute une histoire, on n’y pensait même pas. Assez vite, le groupe s’est plus au moins stabilisé autour de six ou sept personnes, certains étant sagement rentrés chez eux, d’autres ayant été tenté par l’expérience communautaire ou par la route vers l’Orient, comme ça se faisait à l’époque. On a continué à combiner musique et performance : on jouait les partitions graphiques de Karlheinz Stockhausen, des choses comme ça. Nous étions plutôt singuliers par rapport aux autres groupes de la ville, qui reprenaient des morceaux de Grand Funk Railroad, ou ce genre de groupes de l’époque. Toutes les occasions de jouer étaient bonnes à prendre : première partie de concert de jazz, expositions d’art, fête des mères dans un jardin public, fête du Parti communiste, du lycée, de l’Ecole normale, etc. On est allé rendre visite à Actuel dans leur bureaux à Paris, puis ils sont venus nous interviewer à Chartres, et un article était prévu. Mais c’est seulement quatre années plus tard, dans leur dernier numéro, que la revue fait allusion à cette rencontre, dans un article retraçant leurs souvenirs. Apparement, cela les avait impressionnés. L’article avait pour titre « Liberté, Anarchie ! ». Parfait, mais un peu tard... Nous avions rencontré Patrick Vian, le leader de Red Noise, que j’avais tant admiré quelque temps plus tôt dans ce festival aux Halles. Mais rien à faire : nous restions un groupe local. Cette période a duré plus ou moins quatre années. Puis, en 1974, j’ai acheté mon premier synthétiseur. J’étais très intéressé par cette vague de groupes allemands que l’on découvrait dans les revues, sur disques et sur scène, ma préférence allant aux groupes les plus radicaux, bien sûr. Mes acolytes ne partageaient pas trop mon enthousiasme, et je trouvais que le groupe tournait un peu en rond. Alors je les ai quittés pour faire quelques concerts en solo, puis j’ai crée avec Bernard Filipetti un duo de musique électronique. C’est dans cette formule que Camizole est passé à une audience nationale. Nous avions envoyé une cassette à Jean-Pierre Lentin, qui a écrit quelques lignes dans Actuel, et cela nous a permis de jouer durant l’été 1975, dans quantité de festivals. Klaus Schulze et Klaus D. Müller nous ont proposé de produire un album, mais à l’automne, le duo s’est séparé et je suis revenu auprès de mes anciens compagnons. Nous avons fait alors d’autres rencontres importantes. Chris Chanet, le saxophoniste d’Etron Fou Leloublan, nous a rejoints quelques temps, puis nous avons créé, avec eux, un collectif auquel se sont joints quelques autres groupes.

Gilbert Artman a été une autre rencontre très importante : deux membres de Camizole ont rejoint son groupe Urban Sax, et pour en revenir aux enregistrements, c’est Gilbert qui nous a conseillé d’enregistrer notre album en public, nos improvisations se prêtant davantage à ce genre de situation qu’à une séance en studio. Il avait tout à fait raison, puisque quelques mois plus tôt, Pierre Lattès nous avait organisé un enregistrement dans un studio de la Maison de la Radio, dans des conditions techniques idéales, mais sans public, on avait été un peu timorés. Le résultat, pour la moitié de l’enregistrement, est un peu froid, un peu constipé si je puis dire... Bref, le Théâtre de Chartres nous a accueillis, nous avons envoyé des invitations tous azimuts, et notre ingénieur du son a monté un dispositif avec deux Revox synchronisés, ce qui nous a permis d’enregistrer en quatre pistes. Tout s’est très bien passé, la salle était pleine, le public très attentif, la situation un peu inédite, pas tout à fait celle d’un concert, pas très éloignée non plus, des gens s’étaient déplacés de Paris. Mais peu de temps après, Tapioca a mis la clé sous la porte, et l’album a dû attendre deux décennies avant de voir le jour. Quelques mois plus tard, la complicité avec Gilbert Artman a été poussée plus loin, puisque son groupe Lard free et Camizole ont fusionné en un collectif, dont l’effectif oscillait entre six et huit membres. Ce fut, pour chacune des deux formations, leurs quatre derniers concerts, dont un fut d’ailleurs enregistré. Le résumé de tout cela est qu’il y a eu, durant les huit années d’existence du groupe, plusieurs opportunités discographiques qui n’ont pas abouti, ce qui explique cette découverte, c’est vrai, plutôt a posteriori. Quoiqu’en 1977, Camizole avait des articles d’une demi-page dans le quotidien Libération. Inimaginable aujourd’hui !

PR : Vous étiez sensibles au punk rock à l’époque, ou plutôt branchés rock in opposition, bien que les deux ne soient pas incompatibles ?

DG : Je dois dire que lorsque le punk est arrivé, cela ne nous a pas beaucoup impressionnés. On nous disait que les punks ne se souciaient pas de technique et qu’ils ne se donnaient même pas la peine d’accorder leurs guitares, ce qui était loin d’être vrai. Bon, aucun membre de Camizole n’avait appris à jouer de son instrument avant de monter sur scène, et ma guitare n’était jamais réellement accordée, jusqu’au jour où j’ai découvert les accords ouverts, mais ça, c’était beaucoup plus tard. On nous parlait aussi de violence et de provocation. Provocateurs, ça, on l’était, et la violence sur scène, elle était bien présente aussi. Il arrivait à Jean-Luc, notre batteur, d’éclater des bûches à grands coups de hache, et on peut imaginer, repris par les micros, le boucan que ça pouvait faire. La spontanéité, l’anarchie, nous connaissions aussi : nous ne pratiquions pas trop l’autocensure, et nous étions pas mal désorganisés. Quant à la simplicité des textes, je me souviens de Jacky hurlant sans répit, dans son micro, « Je veux du vrai rock’n’roll, je veux du vrai rock’n’roll... », sur un fracas indescriptible et le soutien d’un rythme furieusement binaire. Cela faisait plusieurs années que l’on pratiquait toutes ces choses. Nous étions punks sans le savoir, sauf qu’on n’avait pas la panoplie. En Angleterre, certains concerts de nos amis d’Etron Fou Leloublan étaient organisés par des punks, et ils nous racontaient que la personne de la FNAC, à laquelle ils venaient de proposer de faire la distribution de leurs albums, leur avait répondu très favorablement, en leur disant : « C’est punk, ça va marcher ! » Ceci dit, j’aimais bien le groupe Métal Urbain : leur instrumentation était intéressante (deux guitares, boîte à rythmes et Synthi A, sans guitare basse). Et n’oublions pas que c’est Gilbert Artman qui a insisté auprès de Frédéric Leibovitz et Jean-Michel Gallois- Montbrun pour que Cobra les signe, et que c’est Richard Pinhas qui les a aidés, pour le matériel, lors de cette première séance d’enregistrement. La ligne de fracture entre notre génération et celle des punks n’était pas si catégorique que ça...

Nous étions, bien évidemment, proches de Rock in Opposition. Un jour, j’ai eu la surprise de voir Chris Cutler arriver chez moi : il était venu tout seul par le train, puis à pied jusqu’à la maison, et elle n’était pas toute proche de la gare. Je me souviens que je lui ai fait écouter Barricade 3, l’album de ZNR, qu’il ne connaissait pas encore. Il était totalement séduit, et plus tard, il réédita l’album et soutint le travail de Joseph Racaille sur Recommended Records. Il était très admiratif du travail que j’avais fait avec Un Certain Rock (?) Français et il disait qu’il faudrait que cela existe dans chaque pays. Quelques temps plus tôt, c’est lui qui le premier, après un concert de Henry Cow, m’avait fait écouter The Residents. Quelle claque ! Mais l’occasion de nous voir en concert ne s’est jamais présentée.

PR : Un an après Camizole, tu montes avec Monique Alba un projet singulier, de studio cette fois, et dont le premier disque sort sous la forme d’un 25-cm sur le label de Chris Cutler, Recommended Records : Vidéo-Aventures. Avec le bien nommé Camizole, l’ambiance musicale, au moins dans l’esprit, parait proche de Cromagnon (le groupe présent sur le label new-yorkais ESP-Disk’), Barricade, Godz... Au point que l’on n’est jamais loin de la Los Angeles Free Music Society : Camizole, pour moi, c’est un peu le Smegma français ! Avec Vidéo-Aventures, par contre, il s’agit de tout autre chose...

DG : Effectivement, j’avais envie de m’aventurer dans tout autre chose. Il faut croire que rester dans les mêmes formules me lasse assez vite. Je préfère expérimenter de nouveaux territoires et parfois prendre une direction opposée, ce qui était le cas avec Vidéo-Aventures. Avec Monique Alba, nous avons façonné des bases musicales, principalement avec le merveilleux Synthi AKS, un instrument plutôt hors norme à l’époque. Puis nous avons proposé nos ébauches à quatre musiciens rencontrés aux cours des années précédentes : Guigou Chenevier d’Etron Fou Leloublan, Gilbert Artman de Lard Free et Urban Sax, Jean-Pierre Grasset de Verto et Cyril Lefebvre, un ancien Maajun, virtuose de la guitare slide. Ils avaient bien sûr carte libre quant au choix de leurs interventions. La collaboration entre ces musiciens, qui avaient tous une expérience musicale et une technique instrumentale à la fois différentes et supérieures aux nôtres, et nos pratiques plus rudimentaires et sans aucun a priori, ont permis d’engendrer un drôle d’objet, qui je crois ne ressemblait pas trop à ce que l’on pouvait entendre à l’époque. L’album a été enregistré en novembre 1979 et n’est sorti qu’au printemps 1981, mais c’était une chance d’être édité par le label de Chris Cutler : cela nous a permis d’avoir une bonne distribution. Il y a eu une excellente chronique dans le New Musical Express, et l’album a même été classé n°2 dans les charts de la revue, dans la catégorie « independants ». C’était tout à fait étonnant pour un petit groupe français inconnu. Un second album a été enregistré en décembre 1981, avec presque la même équipe, plus Jac Berrocal en invité privilégié et Gilbert Artman promu au rang de producteur artistique. A l’époque, la plupart des groupes de notre famille musicale ne pensaient pas au rôle capital du producteur artistique : Gilbert Artman a pris les choses en main, et je dois dire que j’ai beaucoup appris de ses méthodes et de ses choix peu orthodoxes. L’apport de Daniel Deshays, qui avait enregistré quantité d’albums d’improvisateurs français et qui travaillait aussi pour le cinéma, a également été important dans le processus de création. Le délai entre l’enregistrement et la sortie de l’album a été encore plus long que pour Musiques pour Garçons et Filles : trois ans cette fois-ci. Recommended Records n’était pas intéressé pour sortir l’album, alors on est allé voir Cherry Red Records : un des dirigeants était partant, mais pas son co-équipier, et finalement ça n’a pas pu se faire, et donc nous avons trouvé un accord avec Tago Mago, le label de Pascal Bussy, qui s’était illustré avec des productions luxueuses de cassettes d’Albert Marcoeur, This Heat, Can, etc. L’album, pourtant mieux enregistré et mieux produit que le premier, n’a pas rencontré le même accueil. Malgré tout, il a réussi, par la suite, à faire son petit bonhomme de chemin, puisque nous en sommes aujourd’hui à trois rééditions, dont récemment une version gatefold américaine. La dernière production de Vidéo-Aventures est une double cassette audio dans un boitier vidéo : un hommage au septième art, sous forme de douze courts-métrages sonores. L’idée était de pousser à l’extrême l’ambiance cinématographique déjà présente sur certains morceaux de Camera (in focus) / Camera (al riparo). On a donné la part belle à l’échantillonneur, un instrument qui n’était pas encore commun à l’époque et qui suscitait parfois de la défiance, voire de l’hostilité. L’objet est sorti en édition limitée sur ADN Records, branche italienne de Recommended Records.

PR : La redite te lasse, dis-tu. Effectivement, après Vidéo-Aventures, tu joues de la guitare, accompagnant Sue Garner dans un style plutôt country blues...

DG : La première collaboration avec Sue Garner date de Moonbeam Movies, cette double cassette de Vidéo-Aventures dont je viens de parler, réalisée pour un court-métrage sonore rendant hommage au western. Sue et Rick étaient des amis proches de Guigou Chenevier, qui avait créé peu de temps avant le trio Les Batteries, avec Rick et Charles Hayward de This Heat. Ils avaient tourné en France avec leur propre groupe, d’abord Fish and Roses, puis Run On avec Alan Licht. De mon côté, j’avais emprunté à la bibliothèque L’Encyclopédie du Blues de Gérard Herzhaft, et j’avais été sidéré par les biographies de ces musiciens, pleines de péripéties incroyables, d’arnaques, de catastrophes, de drames etc. J’ai eu envie d’écouter les enregistrements de ces musiciens qui étaient aussi ouvriers agricoles, vagabonds, prêcheurs, forçats, et qui avaient eu des destins insensés et souvent tragiques. Je connaissais bien évidemment le blues, à travers les reprises qu’en avaient fait Brian Jones et ses acolytes, Captain Beefheart, Canned Heat et plein d’autres groupes que j’avais beaucoup écoutés adolescent. Mais là, je me suis plongé dans la réalité et la vérité des versions originales, aidé par la lecture d’autres ouvrages, plus pointus, afin d’approfondir mes connaissances et de sélectionner l’essentiel. On était alors en pleine expansion du format CD, et plein de 78 tours gravés entre les deux guerres étaient réédités. J’ai adoré me plonger dans ce précieux héritage musical. Les songbooks, les fameux Oak Publications, comme ceux de Stephan Grossman ou Arlen Roth, m’ont permis de comprendre la technique des accords ouverts et du bootleneck. Avec l’aide de Sue, j’ai pu acheter à Nashville une National steel guitar des années 1930, l’instrument parfait pour utiliser ces techniques. Il s’agissait d’un modèle à résonateur, comme celui utilisé par Cyril Lefebvre sur les albums de Vidéo-Aventures. Les enregistrements ont eu lieu à New York sur du matériel portable, et en France sur un TEAC huit pistes. Il n’était pas question bien sûr de faire un album de blues classique, mais plutôt de rendre un hommage à ces musiques et à ces musiciens, en gardant de la distance et surtout de la créativité. On a vite compris qu’il ne fallait pas aligner les morceaux les uns après les autres, comme des pièces de musée, et que le montage allait être une phase essentielle du projet. On a introduit des enregistrements faits dans la ville, des conversations, un conflit avec le vendeur d’un enregistreur DAT, des pannes de van récurrentes vécues dans le tunnel reliant Manhattan au New Jersey, ou devant Music Building où on enregistrait... Au final, cela ressemble peut-être à un carnet de voyage sonore, un brin « musique concrète ». Le synthétiseur est complètement absent de cet album, sauf sur un morceau, et c’est mon fils Robinson, alors âgé de moins d’un an, qui en joue. Il y a aussi un chat qui joue une partie de piano. Comme quoi, une tournure un peu surréaliste ou pataphysique n’est pas absente de cet album. C’est Ajax, un label de Chicago, qui a sorti l’album, et pas mal de fanzines musicaux américains l’ont chroniqué. En France, Les Inrockuptibles ont fait une chronique, bien que, contrairement à ce qu’indiquait la revue, l’album n’était pas distribué ici...

PR : La suite de ta carrière me paraît centrée sur l’idée du solo, avec des influences amérindiennes...

DG : Oui, à la fin des années 1990, mon intention était de jouer en solo, et ce qui est drôle, c’est que cette envie déboucha paradoxalement, dans un premier temps, sur l’album où il y a le plus de musiciens invités. Cela a commencé avec un travail sur des projecteurs de diapositives. Avec Vidéo-Aventures, dans les rares concerts que nous avions faits, nous en utilisions une douzaine, mais là, il y en avait plus du double. Je les ai décarcassés pour les réduire à l’essentiel, brûlés, fondus, découpés, etc. Bref, une démarche totalement art brut, à la Chomo, et c’est d’ailleurs pour lui rendre hommage que j’ai orthographié mon nom Grimo. Dans ce quasi campement amérindien, ma première idée était de jouer en solo. Mais comme le résultat était, disons, un peu faible, les soirs suivants, j’ai invité un ou plusieurs musiciens parmi ceux qui étaient présents ce jour-là. Selon les lieux et les villes où Slide a été installé, les choses ont été différentes, avec parfois un seul ou une seule invité(e), alors que d’autres fois, comme au Jardin Moderne de Rennes, nous avons été obligés de faire une liste d’attente. L’album a été enregistré au studio de Vandoeuvre-Lès-Nancy avec chacun des musiciens qui avaient joué dans l’installation, soir après soir, au festival Musique Action. Il y a des musiciens confirmés comme Pascal Comelade ou Michel Doneda, mais aussi des semi-amateurs, et de vrais amateurs. Il y a même le jeune guitariste Clément Lê Quan, alors âgé de 11 ans. J’ai adoré ce mélange de musiciens aux statuts, aux horizons et aux pratiques très différents, dans ce projet associant l’improvisation et le travail en studio. Les tonalités blues sont encore bien présentes, associées cette fois-ci à des sonorités de guitares préparées : bottleneck démesuré, tiges et boules métalliques, e-bow, etc. J’ai donné volontairement aux cinq morceaux une durée et une structure similaires, les couleurs sonores et les perturbations à cette construction immuable étant apportées par les invités. Avec François Dietz, l’ingénieur du son, nous avons pu mettre en pratique ce que j’avais appris auprès de Gilbert Artman quelques années auparavant. Slide a été classé par le magazine Vibrations dans les cinq meilleurs albums de l’année 1999, dans la catégorie « electronica / authentica ».

Le vrai travail en solo est venu juste après, avec deux albums commencés en même temps et utilisant une instrumentation identique : les disques vinyles, un synthétiseur Moog, et une Fender Stratocaster. Les Quatre Directions est une partition circulaire inspirée du « cercle de la vie » de la tradition amérindienne : un seul morceau de soixante minutes sans interruption, dont les instructions sont données oralement en langue sioux Lakota. Les vinyles constituent le noyau central du cercle, et ils ont été choisi afin de reconstituer le jeu de deux batteurs. L’album est paru sur Locust, de nouveau un label de Chicago, et pour la première fois, un de mes albums était chroniqué dans The Wire.

Quant à Rag Time, sorti un peu avant, il a été imaginé tout spécialement pour le label pataphysicien In-Poly-Sons mené par Denis Tagu. Je me suis inspiré d’un titre de Moonbeam Movies, pour lequel Alain de Filippis nous avait proposé un montage sonore qu’il avait réalisé à partir d’antiques microsillons 78 tours. Une des traductions de Rag Time est « déchiqueter le temps » : cela m’a donné l’idée d’associer ces mélodies surannées aux notes délivrées de façon aléatoire par le sample and hold du Moog. Rag Time a particulièrement marqué Pierre Bastien qui m’a proposé de faire la suite en duo avec lui : je n’étais pas peu fier de cette proposition venant d’un musicien que j’admire fortement, un des plus inventifs de ces dernières décennies. Le volume 2 est donc paru quelques temps plus tard, bien sûr, toujours sur In-Poly-Sons, et nous avons fait quelques concerts, dont un mémorable au Mexique. C’est une époque où j’ai eu la chance d’avoir pas mal de propositions de concerts, et comme jouer en solo n’était plus un problème, c’était un vrai régal, le répertoire étant en gros celui de l’album Rag Time.

PR : ... In-Poly-Sons vient de rééditer un 17 cm de Johnny Be Crotte, agrémenté d’inédits. Avec Véronique Vilhet, qui fut de cette formation culte, tu as enregistré un album, AAHH ! !, sur le label Bam Balam justement...

DG : Johnny Be Crotte, bien que ne faisant pas partie des formations les plus connues de cet underground français, est un groupe important des années 1970, et ses musiciens ont fait partie, ensuite ou en même temps, de groupes plus connus comme Barricade, ZNR, Etron Fou Leloublan ou Encore plus Grande. D’autres membres, dont Véronique Vilhet, ont participé aux premiers spectacles furieux et délirants de Royal de Luxe.

Notre duo a commencé fin 2008 : il faisait suite pour moi à la parenthèse avec Klimperei, une petite série de concerts et un album en double guitares, (radiolaires), sorti sur un label américain et passé presque totalement inaperçu, vu qu’il n’a pas eu de distribution un peu sérieuse, ni là-bas ni ici. Avec Véronique, nous avons commencé par des enregistrements de morceaux pour des compilations, puis nous avons enregistré notre premier album, avec la complicité de David Fenech pour le choix des microphones et la réalisation du pré-mastering. On a voulu agir avec un maximum de sobriété : juste les bons vieux sons chauds des synthétiseurs analogiques Moog, Synthi AKS et Sequential Circuits, avec une batterie bien lourde, bien solide, constante, et un soin particulièrement méticuleux dans la recherche des harmoniques, du grain sonore, et de la prise de sons en général. C’est un album à ranger, sans aucun doute, dans la catégorie drone, et on peut se demander si « Conrad », le titre qui clôt l’album est dédié à Conrad Schnitzler ou à Tony Conrad. Encore une fois, le délai a été long, trois ans entre la fin de l’enregistrement et la sortie de l’album. C’est finalement Bam Balam Records qui l’a accueilli, l’album se retrouvant ainsi aux côtés de ceux d’Acid Mothers Tempel, Michel Henritzi et Richard Pinhas, entre autres. Malgré des bonnes chroniques dans The Wire et dans des revues en ligne, on se retrouve malheureusement, depuis quatre ans, complètement en dehors des radars des programmateurs de festivals et autres lieux. C’est l’autre raison de cette petite tournée des disquaires : ne pas stagner dans cette situation et réagir face à cet oubli. Je ne suis pas suffisamment paranoïaque pour imaginer que ce soit une mise à l’écart. Peut-être que les programmateurs pensent que nous ne voulons pas faire de concerts, et si c’est le cas, ils ont complètement tort, ça c’est sûr. Notre deuxième album est sur le point de sortir, de nouveau sur In-Poly-Sons : le thème en est les îles, et sans aucun synthétiseur cette fois-ci, sauf pour simuler les vagues; la batterie et la Fender Stratocaster sont les instruments principaux, avec toujours cette recherche d’accords ouverts peu usités, comme ceux utilisés par Nick Drake ou Peter Finger.

PR : Pour finir, revenons au début de cet entretien et au livre L’Underground Musical en France. Une musicienne comme Colleen, dont le premier disque est sorti en 2003, y est citée. N’y aurait-il un gros chapitre à écrire sur les années 2000 ? Je pense à tous ces groupes importants tels Opéra Mort, France Sauvage, Reines d’Angleterre, Astreinte, Aliquid, France, Ecoute la merde, Vomir... Concernant les années 1990, de mémoire, je n’ai pas l’impression que le courant noise du rock, et même le noise tout court, soient très représentés : je ne me souviens pas d’y avoir vu Bästard, Sister Iodine, ni black metal d’ailleurs. Et pourtant, Les Légions noires, ces cassettes tirées à une poignée d’exemplaires, celle de Möevôt par exemple et pour ne retenir qu’elle, c’est underground, non ? Concernant les années 1970, j’ai été surpris de ne pas voir d’acid folk, des choses comme Celebration (Old Green Village) ou du rock disons barré, comme celui de Rob Jo Star Band, des groupes qu’il est certes plus facile de découvrir aujourd’hui, étant donné la vague de rééditions en la matière... Du coup, je me dis que votre vision de l’underground musical en France a peut-être plus à voir avec le Front de Libération du Rock, et donc avec tout ce qui annonce le rock in opposition puis le rejoint ou s’en réclame : je me trompe ?

DG : Dans l’ouvrage figurent pas mal d’autres musiciens apparus dans les années 1990 et 2000 : eRikm, Lê Quan Ninh, Frédéric Le Junter, Dust Breeders, Jean-Christophe Camps, Palo Alto etc. Nous avons bien évidement reçu des doléances nous expliquant que nous n’avions pas assez parlé de tel ou tel groupe, que celui-ci était hors sujet et que celui-là manquait. Deux ou trois nous ont même dit que dans leur groupe, nous avions trop parlé d’untel et untel et pas assez de leur propre personne. Sans blague, on a tout eu ! L’index comprend à peu près 1700 noms, ce qui n’est pas mal, je crois. Il était hors de question de faire un dictionnaire ou une encyclopédie, qui n’aurait de toute façon pas été exhaustive non plus. L’idée était de faire quelque chose de vivant, c’est à dire de tout simplement raconter l’histoire, ou les histoires, de ces groupes hors commerce qui avaient joué partout en France, parfois à l’étranger, enregistré des disques ou pas, monté des réseaux etc. Une histoire peu connue, ou très vite oubliée. Les choses se sont faites naturellement, le plus possible nous avons privilégié les informations de première main, les biographies diffusées, avant sous forme de brochures, maintenant par internet, n’étant pas forcément objectives. La différence entre le mythe, la légende et la réalité est parfois notable. Il m’a semblé que je parlerais mieux de ce dont j’avais été témoin. Les groupes dont je connaissais suffisamment l’histoire, que j’avais vu en concert, parfois de nombreuses fois, parfois en répétition, rencontrés backstage, parfois côtoyés davantage, ou avec qui j’avais partagé quelques aventures et mésaventures... Si 1968 était la date parfaite et emblématique pour débuter l’ouvrage, choisir une date de fin était beaucoup plus problématique, Quelle qu’elle fût, elle aurait été arbitraire. Notre choix a donc été de ne pas en choisir, mais de braquer pleinement notre projecteur sur les années 1970 et 1980, et d’avoir un éclairage plus diffus sur les années 1990 et 2000. Ce livre est le seul pour le moment à traiter du sujet, il est sorti il y a huit ans déjà, et il est certain qu’il faudrait qu’il soit complété par d’autres ouvrages, qui traiteraient plus spécifiquement des décennies 1990 et 2000, puisque bien évidemment les héritiers sont là. J’ai justement rencontré l’été dernier deux garçons qui ont le projet d’écrire un ouvrage traitant du post-industriel et de l’expérimental à partir des années 1980 : un ouvrage complémentaire au nôtre, comme ils me le disaient eux-mêmes. Espérons qu’ils pourront mener leur projet jusqu’au bout.

Tu as raison, on eut dire que notre vision a à voir avec le Front de Libération et d’Intervention Pop, sauf que le FLIP fait justement partie de ces mythes dont je parlais tout à l’heure. Eric voulait foncer là-dedans et j’ai dû le tempérer un peu, lui expliquer qu’en vérité ces belles intentions avaient eu extrêmement peu d’existence réelle. Je dirais plus exactement que cet ouvrage a à voir avec les mouvances, le bouillonnement musical post-68, avec ses nombreuses branches partant dans toutes les directions, très difficiles à cataloguer - et voilà pourquoi c’est passionnant. Et il ne faut pas oublier que les réseaux et les musiques d’aujourd’hui sont les héritiers de ce qui a été mis en place et pratiqué dans les décennies qui ont précédé.

PR : Dernière question, en matière d’underground français, ta discothèque est riche de combien de pièces ?

DG : Pour ce qui est de ma discothèque, je dois avouer que je n’ai pas du tout un esprit collectionneur. J’ai acheté les albums au moment de leur sortie, mais malheureusement, avant 1974, ils n’étaient pas toujours à la hauteur des prestations scéniques des groupes : je pense à Red Noise et Komintern par exemple. Il y a bien sûr quelques belles réussites, comme Jacques Thollot, Gong, Lard Free et quelques autres. Puis, dans les années qui ont suivi, de vraies petites merveilles sont apparues. Que dire d’autre ?

Agitation Frite. Témoignages de l’underground français volume 1 en commande sur le site des éditions Lenka Lente.